Nouvelle de rêve, roman graphique de Jakob Hinrichs d’après une nouvelle d’Arthur Schnitzler

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RESUME:

À Berlin, de nos jours, un médecin établi, homme bien sous tous rapports, voit ses repères et certitudes bousculés au cours d’une nuit où il est confronté au désir, à la tentation de l’infidélité, aux récits de rêves érotiques et à une nuit de débauche organisée par une société secrète au cours de laquelle il tombe amoureux d’une femme masquée. À son retour chez lui, il se met à douter de sa femme et de la vie qu’ils ont menée jusque-là.

Cette nouvelle célébrissime, qui a été adaptée au cinéma par Stanley Kubrick dans Eyes Wide Shut, est ici transposée dans la Vienne contemporaine par Jakob Hinrichs, élève prodige de Henning Wagenbreth, qui dessine les corps avec une réelle fantaisie, tout en créant des typographies et en bousculant la mise en page avec un rare plaisir.

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MON AVIS:

Fridolin et Albertine ont une vie comme il faut. Lui est médecin, elle femme au foyer, ils ont un enfant et de l’argent. Mais sous le verni de la petite famille bourgeoise parfaite se cache une fascination pour le mystère, le désir, le sexe. Et un épisode au Danemark ayant vu chaque conjoint tromper l’autre. La chose travaille Fridolin durant une étrange journée qui le hantera pour le reste de sa vie…

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Certaines histoires semblent laisser plus de place aux artistes souhaitant se les approprier. Traumnovelle est l’une d’entre elles. Ce court récit voguant entre introspection et cauchemar s’avère fascinant, certainement parce qu’il se construit autant – sinon plus – hors des pages qui l’amènent à exister dans notre esprit. Si la nouvelle (le roman?) d’Arthur Schnitzler se suffit largement à elle-même, il n’en reste pas moins qu’elle a été le terreau d’adaptation marquantes, celle que Stanley Kubrick a pu en faire avec Eyes Wide Shut en tête (opinion commune et pourtant pertinente). Jakob Hinrichs n’est pas en reste et nous livre ici un « roman graphique » anguleux, agressif, vivace mais fascinant dans ce qu’il a de perturbant.

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Le récit d’Arthur Schnitzler est déjà troublant en soi. La lecture qu’en fait Jakob Hinrichs l’est encore plus. L’illustrateur s’amuse à glisser de nombreuses allusions sexuelles dans ses cases. Le couple va rentrer dans une attraction foraine à la porte en forme de vulve, des montagnes au loin se terminent en tétons pointus, des pénis se cachent dans les objets allongées, etc. C’est un festival de représentations génitales tout sauf érotiques qui se déroule dans l’arrière-plan de ce roman graphique et que l’on pourrait facilement rater. Ces images contribuent à créer une ambiance chargée, lourde, rendant encore plus glauque une histoire déjà étrange.

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Mais plus que ces allusions sexuelles, c’est au dessin et, surtout, aux couleurs de Jakob Hinrichs que l’on doit l’angoissante impression laissée par Nouvelle de rêve. Difficile de se dire séduit par une esthétique qui joue sur les contrastes violents et les angles marqués. Cependant, c’est dans ces associations agressives que se trouve l’intérêt d’une adaptation insistant plus sur l’absurde et le cauchemardesque que la vision qu’a pu en avoir Stanley Kubrick.

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De manière générale, Jakob Hinrichs joue sur une vague des dessins naïfs, sursaturés et volontairement provocants plutôt à la mode en ce moment. On aura envie de l’inscrire dans une sorte de mouvance regroupant des illustrateurs tels que Brecht Evens, Brecht Vandenbroucke ou, dans un style différent mais avec une fausse innocence similaire, Joan Cornellà. Les images de Nouvelle de rêve sont à la fois très personnelles et reconnaissables au premier coup d’œil, elles se coulent dans le récit d’Arthur Schnitzler et réussissent à coller à son côté intemporel. Elles obtiennent ainsi une identité propre qui retire enfin l’envie de la comparaison pour permettre à la curiosité de prendre le devant.

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C’est pourquoi le roman graphique de Jakob Hinrichs n’est pas une simple adaptation voguant sur une mode ou l’autre mais bien une appropriation apportant quelque chose de nouveau, de différent à une histoire qui se trouve modifiée, malmenée et enrichie par cette association. Et si cette première lecture vous a intrigués, voire troublés, une seconde vous est proposée par l’éditeur qui a eu la bonne idée de faire suivre le roman graphique du roman tout court, dont la traduction est celle de la précédente édition en poche chez Rivage par Pierre Deshusses.

 

Publié pour la première fois le 25 mars 2015