Le Livre du Thé, Kakuzo Okakura

Le Livre du Thé Kakuzo Okakura

RESUME :

Depuis un siècle, Le Livre du thé qui offre une introduction des plus subtiles à la vie et à la pensée asiatiques s’adresse à toutes les générations. Et ce grand classique, qui a permis naguère de jeter un pont entre l’Orient et l’Occident, n’a rien perdu de sa force et peut encore éclairer notre modernité. Le trait de génie d’Okakura fut de choisir le thé comme symbole de la vie et de la culture en Asie : le thé comme art de vivre, art de penser, art d’être au monde. Il nous parle d’harmonie, de respect, de pureté, de sérénité. Et de sagesse. Que nous contemplions l’évolution de la voie du thé à travers l’histoire, ou que nous nous projetions dans ce nouveau siècle, il convient encore et toujours de nous tourner vers Le Livre du thé.

MON AVIS :

Je ne savais pas trop à quoi m’attendre en débutant Le Livre du Thé mais j’ai été agréablement surprise. Car cette explication du théisme se transforme en réflexion sur certains aspects du monde et de la culture qui m’ont vraiment parlé.

Le Livre du Thé a été publié en 1905 par un Okakura écrivant en anglais. Souhaitant évoquer le théisme qui régit la conception du monde des Japonais, l’auteur s’intéresse aux écoles de thé, à la chambre de thé, aux maîtres de thé mais aussi au Taoïsme et au Zennisme, à l’art, aux fleurs ainsi qu’à l’humanité. Ces derniers sujets peuvent sembler hors de propos mais ils ne peuvent manquer d’interpeller le lecteur par leur perturbante actualité.

Si la partie sur le théisme et le regard que cette philosophie aide à porter sur le monde n’est pas sans charme (« Le théisme est un culte basé sur l’adoration du beau parmi les vulgarités de l’existence quotidienne. » (p. 9)(N.B. : les citations sont tirées de mon édition de 1987 publiée par Dervy-Livres)), ce sont les considérations plus générales de Kakuzo Okakura qui ont retenu mon attention. En effet, l’auteur aborde ici différents sujets qui forment un tout cohérent et nous offrent des pistes de réflexion qui m’ont semblé plus que pertinentes.

C’est surtout la partie sur l’art qui m’a interpellée. Au début du XXe siècle, Okakura dénonçait déjà le vain besoin de l’homme de tout classifier au lieu de simplement profiter des choses qu’il veut absolument faire rentrer dans des petites cases ordonnées. Mais plus encore, il évoquait dans ce livre la manière dont nous pouvons nous tromper en confondant grandeur du nom et splendeur de l’art. Okakura insiste pour que nous nous laissions emporter par nos sentiments face à une œuvre d’art au lieu d’adhérer à la démarche d’un artiste juste parce qu’il est à la mode :

« Quoi qu’il en soit, l’on ne saurait trop regretter que la plus grande part de l’enthousiasme apparent que l’on professe aujourd’hui pour l’art ne repose pas sur un sentiment réel et profond. A une époque démocratique comme la nôtre, les hommes applaudissent à tout ce qui est considéré par la masse comme le meilleur, sans égard pour leurs sentiments. Ils aiment le coûteux et non le raffiné, ce qui est à la mode et non ce qui est beau. » (pp. 93-94)

Troublant. A se demander si les choses changeront jamais…

Mais la partie à m’avoir le plus étonnée est celle consacrée aux fleurs. La prise de position d’Okakura est des plus inhabituelles : l’auteur nous rappelle qu’il est paradoxal de couper des fleurs pour profiter de leur beauté, les privant ainsi de l’essence de celle-ci, tout comme il est cruel de retirer des plantes s’épanouissant à l’extérieur pour les emprisonner dans des pots. Si j’ai eu du mal à prendre au sérieux la chose au début, le raisonnement d’Okakura a fini par me convaincre.

« Hélas! la seule fleur qui ait des ailes est le papillon; toutes les autres demeurent immobiles et désarmées devant leur bourreau. » (p. 103)

Le regard que porte Kakuzo Okakura sur le monde qui l’entoure, aussi surprenant soit-il, est plutôt « universel » et m’a parlé alors que, si j’apprécie les philosophies orientales, je ne me retrouve pas forcément dans celles-ci. Peut-être est-ce parce que je m’attendais à lire quelques réflexions « toutes faites », mais j’ai été surprise par la subtilité et, parfois, la dureté sans appel des mots de l’auteur. « Peut-être ne nous révélons-nous trop dans les petites choses que parce que nous avons si peu de grandes choses à cacher. » (p. 26). Okakura nous invite à réfléchir à la manière dont nous percevons les choses qui nous entoure sans pour autant nous forcer la main. Il peut être acerbe dans ses propos, mais il est souvent juste et évite les écueils simplistes dans lesquels il aurait pu facilement verser. Ses explications sont claires, posées et marquantes. Le tout fait de ce petit Livre de Thé une œuvre philosophique vraiment prenante.

« Comment peut-on traiter sérieusement le monde quand le monde lui-même est si ridicule? » (pp. 47-48)

Au final, Le Livre du Thé est un essai philosophique qui frappe par son actualité, plus d’un siècle après son écriture. Ce court texte des plus agréables à lire reste longtemps à l’esprit et fait naître des réflexions plus qu’intéressante en nous. A découvrir.

 

Publié pour la première fois le 25 mai 2013